En ce mois des Fiertés (Pride Month), célébré chaque année en juin pour rappeler le combat pour les droits LGBTQ+, il est essentiel de réfléchir à l’intersectionnalité des luttes pour une société plus juste et inclusive. Cet article examine comment les luttes antispécistes et LGBTQ+ se croisent et se renforcent mutuellement. De plus, il explore comment l’alimentation végétale peut jouer un rôle crucial dans cette convergence des combats.
Comprendre l’intersectionnalité des luttes
L’intersectionnalité (de l’anglais intersectionality) est une notion employée en sociologie et en science politique pour désigner la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination au sein d’une société.
Le terme a été proposé par l’universitaire afroféministe américaine Kimberlé Williams Crenshaw en 19891 pour parler spécifiquement de l’intersection entre le sexisme et le racisme subis par les femmes afro-américaines, et expliquer pourquoi ces femmes n’étaient pas prises en compte dans les discours féministes de l’époque.
Cette notion décrit comment les différentes facettes de l’identité d’une personne influencent son expérience de la discrimination ou des privilèges. Ce terme permet également de comprendre les dynamiques de pouvoir et de discrimination qui s’exercent au sein même des groupes de minorités.
Le sens du terme a depuis été élargi dans les années 2010 et englobe désormais toutes les formes de discriminations qui peuvent s’entrecroiser. Parmi ces facettes, on trouve le sexe, le genre, la sexualité, l’ethnicité, la nationalité, le statut socio-économique, l’emploi, le handicap, les croyances religieuses, l’âge et l’apparence physique. Souvent, l’espèce, c’est-à-dire la distinction entre les êtres humains et non-humains, est oubliée. Cela conduit à un manque de reconnaissance des privilèges humains sur les animaux non humains.
Théories queer et végane : points de convergence
La convergence des luttes queer et antispécistes peut apparaître, à première vue, comme un amalgame d’oppressions et de revendications distinctes. Pourtant, le mouvement végane est engagé dans la critique de nombreuses institutions dénoncées par le mouvement queer.
Les théories queer, représentées par des penseurs comme Judith Butler, Eve Kosofsky Sedgwick, Lee Edelman, J. Jack Halberstam et José Esteban Muñoz, remettent en question les idées hétéronormatives sur ce que signifie être un sujet sexué, genré et “d’espèce”.2
En alignant les perspectives véganes avec celles de la théorie queer, nous pouvons étendre notre compréhension des oppressions systémiques. Cela concerne à la fois les humains et les animaux non humains.
L’importance de l’intersectionnalité dans le milieu antispéciste
L’alimentation végétale n’est pas seulement bénéfique pour l’environnement et la santé. Elle est aussi un acte de justice sociale.
En plus de s’opposer à l’exploitation des animaux, le mouvement antispéciste prend position contre les injustices sociales. Il dénonce les pratiques agricoles dévastatrices pour les communautés les moins privilégiées. Il reconnaît aussi que les effets de l’urgence climatique ne sont pas neutres en termes de genre. Au contraire, les inégalités de genre en sont d’autant plus exacerbées.
Les théories véganes, féministes et queer partagent des objectifs communs. Elles critiquent les normes hétérosexuelles et anthropocentriques. Par exemple, Carol J. Adams et Jacques Derrida soutiennent qu’il existe un lien entre la consommation de viande et les notions de masculinité et de virilité dans le monde occidental.3 Manger de la viande est un acte d’autodéfinition en tant qu’humain privilégié (identifié comme homme). Cette symbolique genrée de la viande se retrouve dans divers médias et références culturelles.
Il existe une croyance selon laquelle la force, associée à la masculinité, provient de la consommation de viande. En revanche, la consommation de légumes représente la passivité, associée à la féminité.4 Par convention, l’alimentation végétale est donc considérée comme appropriée pour les femmes et/ou toute personne associée aux genres féminins.
La lutte antispéciste doit également tenir compte des autres formes d’oppression qui se croisent avec l’oppression animale. En négligeant des aspects comme le féminisme, l’anti-racisme, et les théories queer, les actions de la communauté antispéciste risquent de reproduire les structures oppressives de la société. Cela compromet leur objectif de changement social.
Une corrélation entre identité queer et alimentation végétale
Bien qu’il existe très peu de statistiques fiables montrant une corrélation claire entre “identité queer” et “alimentation végétale”, il semble y avoir une forte représentation LGBTQ+ parmi les véganes. De même, les femmes et les personnes de couleur sont plus représentées parmi les populations susceptibles de devenir végétariennes ou véganes que leurs homologues.
Bien que l’on ne puisse l’affirmer avec certitude, une des raisons pourrait être que ces individus ont tendance à vivre ou avoir vécu une ou plusieurs formes d’oppression au quotidien.
Découvrez ce que Christopher Sebastian, Journaliste, conférencier adjoint et consultant en médias numériques, pense de la relation entre oppression des animaux et oppression des Noirs, des homosexuels et des classes populaires.
L’intersectionnalité des luttes est essentielle pour comprendre et lutter contre les différentes formes d’oppression dans notre société. En adoptant une perspective intersectionnelle, les mouvements antispécistes, LGBTQ+ et féministes peuvent se renforcer mutuellement et créer un impact plus significatif.
Références
- Crenshaw, Kimberle (1989) “Demarginalizing the Intersection of Race and Sex: A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics,” University of Chicago Legal Forum: Vol. 1989, Article 8. ↩︎
- Quinn, E. (2021) ‘Vegan Studies and Queer Theory’, The Routledge Handbook of Vegan Studies, London: Routledge, p. 261-271 ↩︎
- Adams, C. J., Calarco M. (2017) ‘Derrida and The Sexual of Meat’, Meat culture, Brill, Boston, p.34 ↩︎
- Adams, C. J., Calarco M. (2017) ‘Derrida and The Sexual of Meat’, Meat culture, Brill, Boston, p.34 ↩︎